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Amel et les fauves: un film sur la Tunisie sans clichés

Il suffit d’une soirée pour que tout bascule. Dans Amel et les fauves, une ouvrière de Tunis dîne avec un homme d’affaires influent, espérant qu’il aidera son fils à intégrer un prestigieux club de foot. En la raccompagnant chez elle, l’homme tente de la violer, jusqu’à ce que la police intervienne. L’agresseur s’en tirera avec une simple remontrance, mais Amel, qui est mariée, sera condamnée à six mois de prison. Le fait que «l’accusée» soit en fait la victime d’une agression sexuelle ne change rien.

En salles le 26 avril, le film de Mehdi Hmili explore les destins bouleversés d’Amel (Afef Ben Mahmoud) et de son fils Moumen (Iheb Bouyahia), un jeune joueur de foot qui plonge dans les excès et le vagabondage à la suite de cet incident.

Histoire personnelle

Le réalisateur tunisien s’est inspiré d’une histoire très personnelle: la sienne et celle de sa mère. «J’ai essayé de rester très proche des événements réels. Il y a eu cette arrestation, cette histoire de prison, et cette descente aux enfers que le personnage vit dans le film et que j’ai vécu, avec des degrés de violence un peu plus élevés (rires).»

Pour le cinéaste, qui nourrissait ce projet depuis longtemps, réaliser Amel et les fauves a permis d’exorciser une histoire douloureuse. «J’avais besoin de le faire, besoin de m’en débarrasser. Le titre du film en arabe c’est Atyef (أطياف), ça veut dire spectres, fantômes. Je pense que j’avais besoin de revoir ces fantômes une dernière fois pour passer à autre chose.»

Éviter le misérabilisme

Drogue, agressions, violence sexuelle: Amel et les fauves ne recule pas devant les sujets durs. Une approche frontale que le réalisateur, qui cite Guillermo Arriaga et John Cassavetes en influences, assume complètement. Mehdi Hmili explique ainsi avoir voulu montrer «des choses intimes, sordides mais sans misérabilisme. Il y a un truc misérabiliste dans le cinéma arabe, moi je n’aime pas ça.»

Pour éviter de franchir cette ligne, le réalisateur s’est autorisé à faire des modifications de dernière minute lors du tournage, écoutant son instinct. «S’il y avait une scène qu’on ne sentait pas, qui nous gênait, on arrêtait tout simplement. On avait cette liberté-là sur le plateau, vu que j’étais le producteur du film.»

C’est le cas pour la très belle scène d’ouverture, dans laquelle Amel et son fils chassent une souris de leur appartement en riant, le fils aussi peureux que la mère. La première version était beaucoup plus sérieuse. «Quand j’étais jeune, je m’en rappelle, on vivait dans un appartement dégueulasse dans une cité HLM, et on avait plein de souris. On ne pouvait pas déménager car on n’avait pas l’argent. C’était une scène très dramatique, très misérabiliste. Et le jour où on a commencé à tourner… je me suis dit que j’étais mal à l’aise, il y avait quelque chose qui n’allait pas. J’ai dit à l’assistant “on arrête”, et on a changé la mise en scène. Je me suis dit qu’il fallait qu’on rigole de cette situation.»

Une Tunisie sans clichés

Cette ouverture légère et lumineuse est d’autant plus importante que le film va ensuite plonger le public dans l’univers parfois sombre et violent de la nuit tunisienne. «Les boîtes de nuit, la musique électro, le milieu LGBTQ, ne sont pas représentés dans le cinéma ou dans les séries télé, c’est très rare qu’on en parle. Il y a toujours cette image de la médina, du désert, et ça, ça ne me plaît pas. Je n’ai pas vécu dans ce monde-là, j’ai vécu dans une cité HLM en béton, je connais le centre-ville, la Marsa, la Goulette, les boîtes de nuit, l’autodestruction. Je voulais montrer ce monde là que j’ai connu.»

Mehdi Hmili a ainsi voulu offrir un portrait de la jeunesse tunisienne à la fois moderne et inédit. «La société a beaucoup évolué depuis la révolution. On a une jeunesse qui veut prendre les choses en main, qui a envie de vivre sa vie. La génération de nos pères est complètement perdue, ils ne savent plus suivre, parce que leurs enfants vivent dans un monde complètement différent, parlent un langage différent, ils se tatouent, ils écoutent de l’électro, ils prennent des drogues dures, …»

Le Tunis dépeint dans le film est effectivement loin des clichés habituels plébiscités par les touristes. «Je ne voulais pas filmer la médina. On fantasme beaucoup sur Sidi Bou Saïd, la Goulette, la Marsa. Il y a certains décors dans Tunis que je ne voulais pas filmer, ou alors les filmer autrement.»

Le cinéaste, qui s’est mis à nu en adaptant un récit quasiment autobiographique, affirme avoir d’abord fait le film «pour les Tunisiens, et ensuite pour le reste du monde. (…) Le public tunisien est très intelligent. Quand tu triches et que tu fabriques un film orientaliste, plein de clichés, ils le sentent et ils rejettent le film. La manière dont le film est reçu en Tunisie m’a beaucoup touché.»

Amel et les fauves

de Mehdi Hmili

En salles le 26 avril

La Vingt-Cinquième Heure Distribution

Crédit visuels: La Vingt-Cinquième Heure Distribution



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