Les incendies de forêt défrayent la chronique, et de plus en plus, malheureusement. Bien que ces feux soient très néfastes pour la faune et la flore (et libérateurs de gaz à effet de serre), certaines plantes, dites pyrophytes, sont capables de survivre à ces événements, voire d’en profiter pour se multiplier.
Qu’est-ce qu’une plante pyrophile, ou pyrophyte ?
Parmi toutes les plantes en -phyte, on a, entre autres, les épiphytes, les halophytes, les xérophytes, lithophytes… et les pyrophytes. Les plantes pyrophiles ou pyrophytes sont celles qui tirent profit du feu (notamment des incendies de forêt) pour se reproduire, se propager, ou pour mieux se développer. On les rencontre souvent dans les zones régulièrement soumises à des feux d’origine naturelle (région méditerranéenne pour la France, par exemple). En effet, lors d’un feu de forêt, une très large majorité des végétaux (et des animaux) sont détruits, mais certaines plantes arrivent cependant à survivre et même à tirer leur épingle du jeu ! Voici comment.
Des adaptations morphologiques pour résister au feu
Une écorce très épaisse
La première protection contre le feu, c’est, pour les végétaux ligneux, de développer une écorce très épaisse, qui jouera un rôle de barrière entre les flammes et les tissus vivants de l’arbre, dans le tronc (juste sous l’écorce) et les plus grosses branches. Les vaisseaux conducteurs et les bourgeons dormants sous l’écorce seront ainsi à l’abri de la chaleur intense et l‘arbre pourra régénérer ses parties aériennes après l’incendie, puisque la sève pourra continuer à circuler. Parmi ces arbres à écorce très épaisse, citons le niaouli, le séquoïa, le chêne-liège…
Pour le feuillage, une cuticule épaisse, cireuse, peut également protéger les parties aériennes contre le feu et limiter leur combustion.
A noter que les pins, bien que très inflammables (présence de résine), sont capables de reformer des bourgeons sous le bois calciné (et donc de régénérer de nouvelles branches et rameaux) si le feu n’a pas été trop intense ni trop long.
Des plantes difficilement inflammables
Quiconque a déjà essayé d’allumer un barbecue avec du petit bois humide le sait : plus les tissus végétaux sont gorgés d’eau, plus difficile est leur embrasement. Les cactus et les agaves (et les plantes succulentes d’une manière générale) et certaines plantes carnivores (dionée attrape-mouche) résistent donc bien aux incendies : les végétaux aux tissus “secs” brûlent, mais ceux qui contiennent beaucoup d’eau n’ont pas le temps de prendre feu sur le passage des flammes.
Autre exemple de plante ignifuge : le chêne liège dont l’écorce est non seulement très épaisse, mais également constituée de liège qui prend feu très difficilement (essayez de faire brûler des bouchons de liège : c’est un isolant très efficace !). Dans le même registre, les arbres possédant un bois très dense ou un feuillage très fin et recouvert d’une cuticule (donc peu poreux, contenant peu d’air ou ne le laissant pas circuler : et qui dit peu d’air, dit peu d’oxygène, donc une inflammation difficile) tels que l’amandier, l’olivier, le buis, l’if, seront plus résistants aux incendies que d’autres arbres. Le feu, s’il n’est pas trop intense ni trop long, épargnera partiellement ces espèces.
Organes souterrains ou touffe basale très dense protégeant la plante
Lorsque le feu passe, les parties souterraines des plantes sont protégées de la chaleur intense et de la combustion. Ainsi, toutes celles qui possèdent des organes enterrés capables d’assurer la reprise de la plante (plantes géophytes), soit parce que ce sont des organes de réserve munis de bourgeons (tubercules, bulbes, rhizomes), soit parce que des racines profondes permettent de régénérer les parties aériennes calcinées, résisteront mieux au passage des flammes. Les fougères et les asphodèles peuvent ainsi plus aisément résister au feu et se régénérer ensuite.
Certaines plantes herbacées dont la souche est protégée par une touffe basale très compacte laissant peu pénétrer les flammes sont également susceptibles d’échapper au feu, et de pouvoir se régénérer. C’est le cas d’un certain nombre de Poacées (graminées) sauvages, dites cespiteuses.
Des graines libérées grâce au feu
D’autres espèces ont développé, au cours de leur évolution (et c’est particulièrement vrai pour celles dont l’habitat naturel est régulièrement sujet à des incendies d’origine naturelle), des stratégies différentes : plutôt que de protéger la plante elle-même, l’objectif est de mettre les graines à l’abri dans un fruit très dur et même de conditionner leur libération au passage d’un feu. Ainsi, chez certains végétaux pyrophytes, les fruits ne s’ouvrent que s’ils sont soumis à une chaleur très intense. C’est le cas des séquoias, du pin noir d’Autriche, du pin d’Alep, des banksia et du Leucadendron argenteum (famille des Protéacées), ou encore du callistemon, dont les capsules sont si épaisses qu’elles libèrent les graines beaucoup plus facilement après un incendie.
Le Leucadendron argenteum a par ailleurs une autre stratégie adaptative : après germination des graines dans une zone incendiée, il pousse très vite (mais vit peu de temps, environ 20 ans), afin d’être rapidement capable de se reproduire avant qu’un nouveau feu ne se déclenche.
Levée de dormance des graines par une chaleur intense
Outre la libération des graines, certaines semences dont le tégument est très épais et très dur ont besoin (tout comme d’autres nécessitent un épisode de froid) d’une chaleur importante pour sortir de leur dormance, et donc pouvoir germer, comme celles des cistes, dont la capacité germinative passe d’environ 10% sans feu à 90% après un incendie. Les fumées peuvent aussi avoir un impact sur le tégument des graines pour favoriser leur germination.
Ces plantes ont donc généralement des graines qui conservent longtemps leur capacité germinative, puisqu’elles doivent attendre patiemment un feu pour pouvoir germer.
Des limites à la pyrophilie
Evidemment, la résistance au feu de certaines espèces n’est pas systématique : il ne faut pas que l’incendie soit trop intense ni trop long, et si les incendies sont trop rapprochés, les plantes pyrophytes (du moins les vivaces) n’ont pas le temps de se régénérer correctement et/ou de se reproduire afin de produire de nouvelles graines. En matière de perturbation, la résilience des écosystèmes a ses limites !
Pyrophytes passifs, pyrophytes actifs
La plupart des végétaux que nous avons cités jusqu’ici sont ce qu’on appelle des pyrophytes passifs : un incendie se déclenche, mais ceux-ci résistent car ils s’y sont adaptés. Il existe un autre type de pyrophytes : les pyrophytes actifs, qui favorisent l’apparition d’un incendie, notamment en raison de la présence de substances très inflammables dans leurs tissus (bois, feuilles). C’est le cas de l’eucalyptus, champion pour déclencher un feu. Certes, il va s’enflammer comme une torche, et se consumer, mais ses graines germent facilement après un incendie et les plantules se développent très vite, prenant ainsi le pas sur d’autres espèces à croissance moins rapide. L’eucalyptus adopte donc comme stratégie de faire place nette autour de lui, ce qui favorise ses “rejetons” qui occupent rapidement l’espace laissé libre. Et comme il profite en outre des sols nouvellement fertilisés par les cendres, il a “tout bon” !
Plantes coupe-feu : créer des barrières retardataires de feu
L’Homme peut utiliser les végétaux pyrophytes passifs pour créer des barrières retardataires de feu, ce qui permet de freiner la progression des flammes, voire l’interrompre. Figuiers de Barbarie, cactus, agaves (succulentes aux tissus gorgés d’eau) mais aussi le chêne liège sont ainsi propices à ces barrières. Autre exemple : Chromolaena odorata, qui pousse en Afrique et en Australie, reste verte en saison sèche (ses tissus conservent leur eau au lieu de se dessécher comme d’autres plantes) et permet de limiter les feux de brousse (elle est cependant très envahissante).
Champignons carbonicoles
Ce ne sont certes pas des végétaux, mais d’autres êtres vivants peuvent tirer profit du feu pour se développer : des champignons dits “carbonicoles” poussent mieux dans un milieu riche en cendre ou sur du bois calciné. Les “morilles de feu” (espèce différente de celle de nos morilles de printemps) se récoltent ainsi en abondance dans les forêts ayant été victimes d’un incendie.