Alors que la chancellerie reste muette, les experts en relations internationales, outre-Rhin, ne se sont pas privés de remettre le président français à sa place.
De notre correspondante à Berlin, Pascale Hugues

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Macron, un « naïf », un « irresponsable », « a-t-il perdu la tête » ? Il est rare que le président français soit critiqué avec autant de virulence en Allemagne. À Berlin, plusieurs responsables politiques, et pas des moindres, ont réagi aux propos d’Emmanuel Macron à l’issue de son voyage en Chine par une volée de bois vert. Si du côté de la chancellerie, on s’est bien gardé de tout commentaire, dans les centrales des différents partis politiques, les experts en relations internationales ne se sont pas privés de remettre le président français à sa place.
Pour Metin Hakverdi, chargé des affaires européennes au sein du Parti social-démocrate, Macron s’est exprimé à Pékin sans avoir consulté auparavant ses partenaires de l’Union européenne. Ses propos différaient sensiblement de ceux de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui effectuait ce voyage avec lui.
« C’est une grave erreur pour l’Occident de se laisser diviser dans ses relations avec Pékin », reproche Metin Hakverdi à Emmanuel Macron. Il reste de ce voyage une image marquante : le président chinois Xi Jinping en train de bavarder sans cravate avec Emmanuel Macron, tandis qu’Ursula von der Leyen semble avoir disparu de la circulation. « L’UE reléguée au rang de partenaire junior. »
« Macron est en train de s’isoler »
Mais l’attaque la plus dure est venue de Norbert Röttgen, chrétien-démocrate, ancien ministre qui s’était porté candidat à la direction du parti. Ce spécialiste de politique étrangère est très influent. Outré par les propos de Macron, Norbert Röttgen a immédiatement dénoncé sur Twitter : « Macron a réussi à faire de son voyage en Chine une opération de com pour le président chinois Xi Jinping et un désastre de politique extérieure pour l’Europe. »
À LIRE AUSSITaïwan et l’emprise chinoise : Macron sème le doute et récolte la tempêteDans une longue interview mardi, à la radio allemande, Norbert Röttgen réitère son attaque. Il rappelle qu’en cas d’agression chinoise sur Taïwan, « nous serions confrontés à un conflit géopolitique dont l’Europe ne pourrait pas se tenir écartée. Ce conflit aurait d’énormes conséquences stratégiques, politiques et économiques. Mais dire : cela ne nous concerne pas et laisser entendre, comme le fait Macron, que l’Occident pourrait être divisé, c’est tenter la Chine. Il est irresponsable de signifier aux Chinois : vous avez le champ libre. Cela ne nous intéresse pas. Macron est en train de s’isoler en Europe. Je suis tout à fait pour un renforcement de la souveraineté européenne, mais pas en prenant ses distances avec les États-Unis et en se rapprochant de la Chine. »
Plusieurs éditorialistes, toutes tendances politiques confondues, rappellent que, sans les États-Unis, la défense de l’Ukraine après l’attaque russe en février 2022 n’aurait pas pu être assurée. Il est très louable de parler de souveraineté européenne, comme le fait Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir en 2017, encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions.
« Mort cérébrale »
Or la réalité est tout autre. Et la guerre en Ukraine en est la preuve éclatante. Sans l’intervention des États-Unis, Kiev serait aux mains des Russes depuis longtemps. « La contribution française à la défense de l’Ukraine est pour le moins modeste, moindre encore que celle de l’Allemagne », rappelle Norbert Röttgen avec un brin de condescendance.
« Macron avait déjà annoncé la “mort cérébrale de l’Otan”, souligne un éditorialiste particulièrement caustique de l’hebdomadaire de centre-gauche Der Spiegel. C’était avant la guerre en Ukraine et c’était une erreur colossale. À présent, la France se lie à la Chine. Et c’est Macron qui semble être victime d’une “mort cérébrale”. Sans scrupule, sans aucune stratégie et sans égard pour ses alliés. »
Der Spiegel accuse Macron de « s’être laissé envoûter par les Chinois », d’être « une marionnette de la propagande chinoise ». Quant à la Bild Zeitung, titre phare de la presse tabloïd, elle soupçonne le président français de protéger avant tout les intérêts économiques de son pays. Une délégation de cinquante chefs d’entreprise l’accompagnait. On est loin de l’admiration des débuts, quand l’Allemagne accueillait le jeune président français comme le messie.