À la “gauche unie” façon Nupes, Ségolène Royal, il y a quelques jours de cela, avait fait don de sa personne: aux élections européennes en juin 2024, elle se proposait de diriger une liste unique La France insoumise+Parti Socialiste+Europe Écologie Les Verts+Parti Communiste français. Aussitôt et, comme à son accoutumée, bruyamment, Jean-Luc Mélenchon lui apportait son soutien “enthousiaste”. Les autres, tous les autres chefs et petits chefs des gauches toussèrent, fortement agacés par ce énième coup de “la” Royal.
Manuel Bompard, le “coordonnateur” de LFI, se contenta de remarquer qu’il n’était pas au courant –c’est bien la première fois qu’il s’autorisait à prendre une distance si minime soit-elle avec son Grand Chef– ; le numéro 1 du PS Olivier Faure fit savoir qu’il “remerciait” Ségolène Royal mais qu’il ne pouvait en être question –quelques heures plus tard, la direction du PS confirmait qu’elle présenterait sa liste aux Européennes.
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Quant aux Verts et aux communistes, ils exprimèrent haut et fort leur (très) mauvaise humeur: pourquoi même évoquer la candidature Royal alors que Mélenchon et les siens savent pertinemment, et ce depuis des mois, qu’ils iront seuls au scrutin européen, que rien ni personne –et certainement pas Madame Royal– n’est en mesure de les faire revenir sur cette double décision à la fois politique, stratégique et symbolique. L’opération Royal, dès ses prémices, était donc fort mal barrée…
Une manœuvre tordue pour encenser puis liquider Ségolène Royal
Mais pourquoi a-t-elle été flinguée, définitivement, par… la France Insoumise, laquelle a fait savoir que si liste unique il y avait, le numéro 1 devrait être issu du parti Vert? Et à quel jeu tordu à multiples bandes s’est une nouvelle fois prêté Mélenchon, d’abord fan numéro 1 du coup de force Royal, puis associé –forcément– à l’exécution de l’ex-candidate à l’élection présidentielle? Fin de l’opération Royal.
Exit la Dame qui, depuis de nombreuses années maintenant, agace tant l’ensemble des hiérarques de la politique. Retour du “chacun pour soi” parmi ces gauches (faussement) unies au sein de la Nupes et la perspective confirmée de quatre (!) listes qui, d’une manière ou d’une autre, s’affronteront à l’occasion du vote européen.
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Curieusement cette manœuvre tordue pour encenser puis liquider Ségolène Royal dévoile en partie les arrière-pensées de Jean-Luc Mélenchon. Officiellement, celui qui a inventé la Nupes est et reste un partisan acharné de la liste unique. Qu’importe si les sondages indiquent tous, sans aucune exception, que quatre listes obtiendraient un meilleur résultat électorale qu’une seule; qu’importe surtout si, entre Verts et socialistes d’un côté, partisans acharnés de la construction européenne, et de l’autre des Insoumis qui diabolisent volontiers l’Europe telle qu’elle évolue, les divergences sont profondes. Selon le “Lider maximo” de LFI, il suffirait de mettre un mouchoir sur ces contradictions majeures et trouver un accord minimal, ceci afin de ne pas “désespérer” l’électorat des gauches qui tiendrait par dessus tout à l’union. L’union, le mot magique…
Contraindre ses partenaires à la rupture franche
Pourtant on peut douter, sérieusement douter, de la sincérité de Mélenchon. On peut en effet “twitter” “Union, union” et, dans le même temps, la détruire méticuleusement. C’est à ce jeu de massacre là que se livre Mélenchon. D’abord en utilisant un vocabulaire agressif, parfois insultant, envers ses “alliés”. Combien de fois s’en est-il pris au communiste Fabien Roussel (qui s’en moque et rétorque) et au socialiste Olivier Faure (qui, la plupart du temps, encaisse sans trop broncher)?
Ensuite –c’est évidemment l’essentiel– il multiplie les provocations politiques et idéologiques, depuis son fameux la “police tue” jusqu’au soutien récent aux jeunes filles vêtues de l’abaya. Il les enchaine, il les multiplie, ces provocations, avec un objectif (et, au passage, un plaisir) évident: faire craquer ses partenaires, les pousser tôt ou tard à la faute grave, celle qui mérite un carton rouge: la rupture. Voilà tout le charme –et le péril– de cette opération: contraindre ses partenaires à la rupture franche, mais en se donnant le beau rôle.
L’épisode Royal s’inscrit dans cette manigance politico-perverse. Mélenchon y parviendra-t-il? Rien n’est moins certain car ses camarades (ou ex-camarades) commencent à suivre l’exemple du communiste Fabien Roussel et n’hésitent plus à le cogner. Mot pour mot. Coup pour coup. À gauche, la politique reste un sport de combat, mais un combat interne, une lutte fratricide. Le camp macroniste, la droite et l’extrême droite observent la scène non sans délectation. Les électeurs de gauche, eux, sont accablés. On le serait à moins.
Quant à Ségolène Royal, elle a compris qu’il lui fallait passer son tour. D’autant plus que Mélenchon et les Insoumis viennent de lancer à la sauvette un nouveau nom, juste pour agacer un peu plus encore leurs “partenaires”, celui de l’ex-socialiste Benoît Hamon, ex-candidat à l’élection présidentielle en 2017. Décidément, Jean-Luc Mélenchon, qui sait pourtant nous parler de la France, ne s’épuise jamais dans la petite manœuvre politique.