« Cheapflation » – un mot-valise issu de « cheap », qui signifie « bas de gamme », et « inflation ». Ainsi nommé aux Etats-Unis, ce concept consiste pour les industriels de l’agroalimentaire à remplacer des ingrédients coûteux par des substituts moins chers.
Un choix gagnant (pour les industriels)
Résultats : dans le contexte actuel de flambée des coûts, les industriels parviennent à maintenir leur prix de vente – voire à l’augmenter – pour un coût similaire. Mais avec une qualité moindre.
Pour une crème glacée au chocolat, par exemple, cela va consister à remplacer un peu de crème par des épaississants, et un peu de chocolat par des arômes. Si le consommateur ne prend pas garde aux changements sur l’étiquette, il se retrouve, croit-il, avec son produit habituel. Et au même prix, dans le meilleur des cas !
La manoeuvre peut être visible – par exemple dans le cas d’une pâte estampillée « pur beurre » qui ne le serait plus. C’est plus vicieux quand les proportions d’ingrédients sont simplement modifiées par rapport à une ancienne version d’un produit – comme un pâté vendu avec plus de gras et de gelée. La « cheapflation » est d’autant plus redoutable dans les rayons « traiteur » ou « à la coupe », quand les ingrédients et proportions ne sont pas visibles.
Les consommateurs responsables aussi (malgré eux)
Pour peu que les ventes se maintiennent face à celles de concurrents devenus plus cher, c’est un choix 100% gagnant pour l’industriel.
Problème : c’est un pas de plus vers la malbouffe, à l’heure où les produits bio, entre autres, connaissent un recul inédit du fait de l’inflation. En général, la qualité nutritionnelle des substituts utilisés (additifs, matières grasses, arômes…) n’est pas idéale, voire néfaste. La « cheapflation » passe aussi par l’ultratransformation des aliments, souvent nocive pour la santé.
L’ONG Foodwatch France ne dit pas autre chose : selon elle, avec « l’envolée des prix de certains ingrédients, le risque c’est que les industriels soient tentés de les remplacer encore plus qu’avant par des substituts moins chers ».
Pour autant, les industriels ne sont pas les – seuls – responsables : parce qu’il faut arbitrer le budget avant de passer en caisse, les consommateurs sont enclins à se tourner aussi vers des produits plus bas de gamme.
Un risque sanitaire énorme
Conséquence, moins de produits frais, quand viandes, poissons, fruits et légumes figurent parmi les produits les plus touchés par l’inflation. Dans Les Echos, Nicole Darmon, directrice de recherche à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), s’est inquiétée d’une baisse de consommation des fruits et légumes frais au profit de produits trop sucrés, trop salés, trop gras, et globalement trop transformés :
Quand on est soumis à de fortes contraintes budgétaires, on va plutôt s’orienter vers des sources de calories pas chères comme les féculents raffinés – pâtes, riz, pain blanc – et les produits gras et sucrés
Nicole Darmon
Le risque sanitaire est énorme, ajoute-t-elle, si l’on ne parvient pas à se procurer tous les « nutriments protecteurs » – fibres, vitamines, minéraux d’acides gras essentiels – dont le corps a besoin. Avec, à terme, le risque que l’inflation ne renforce les « inégalités sociales de santé liées à l’alimentation », ce qui exposerait les plus démunis à « une moins bonne protection contre les maladies cardiovasculaires et les cancers ».
Parmi les solutions qu’elle préconise, diminuer la quantité de viande afin de consommer « plus de fruits et légumes », ou encore se tourner vers des produits « intermédiaires » comme les oeufs ou le lait. Voire que l’Etat crée une véritable « sécurité sociale de l’alimentation »…