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qui est Evgueni Roïzman, un des derniers opposants à Poutine ?


Charismatique, controversé, original, Evgueni Roïzman est l’un des derniers opposants à Vladimir Poutine encore présents en Russie à n’avoir pas été condamné à une lourde peine de prison. Ce sursis risque néanmoins d’arriver bientôt à son terme : son procès se poursuit ce jeudi à Ekaterinbourg, la quatrième ville de Russie, dont il a été le maire pendant cinq ans, jusqu’à sa démission forcée en 2018.

Pour avoir qualifié de « guerre » et de « triomphe du mal » « l’opération spéciale » menée par le Kremlin en Ukraine, et l’avoir abondamment critiquée sur les réseaux sociaux, cette figure populaire encourt plusieurs années de prison. Il pourrait ainsi y rejoindre d’autres membres de l’opposition russe récemment condamnés, comme Ilia Iachine et Vladimir Kara-Murza.

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Électron libre

Connu pour son style direct – il recevait ses concitoyens chaque vendredi dans son bureau de maire pour écouter leurs doléances –, le sexagénaire faisait jusque-là figure d’électron libre dans un paysage politique peuplé des profils uniformes des nouveaux apparatchiks.

Pratiquant la course à pied, écrivant des poèmes et n’hésitant pas à manier le mat, l’argot russe, pour fustiger la propagande du Kremlin, Evgueni Roïzman a réussi l’exploit d’être élu en 2013 face à un candidat de Russie unie, le parti de Vladimir Poutine. Derrière ce rare succès, la longue – et violente – lutte qu’il a menée dès la fin des années 1990 pour débarrasser sa ville, surnommée « la capitale de l’héroïne », de la drogue et des trafics.

« Evgueni Roïzman a une carrière politique avant tout locale, situe Morvan Lallouet, doctorant à l’université du Kent, coauteur d’Alexeï Navalny, l’homme qui défie Poutine (Tallandier, 2021) et d’un article très fourni en anglais disponible sur le site de Meduza. Il est très ancré dans sa région, et a acquis une grande popularité sur place, sans avoir eu de rôle politique national, à l’exception d’une élection à la Douma dans les années 2000. Ce qui est intéressant, c’est qu’il a un parcours politique et personnel sinueux et ambigu, parsemé de zones d’ombre et de controverses, mais que cela ne l’a pas empêché de s’attirer un respect assez large au sein de l’opposition. »

Lutte controversée contre la drogue

Avec sa fondation Ville sans drogue, formée à la fin des années 1990, il est ainsi soupçonné d’actions pour le moins controversées, dont l’alliance avec un gang criminel local pour poursuivre les trafiquants. Des narco-dépendants qu’il recevait dans un centre de désintoxication tout spécialement créé auraient en outre été attachés à leur lit, le temps d’un sevrage pas toujours consenti. Qu’importe : ce fils de l’Oural, né et élevé par une famille ouvrière russe et juive, a réussi à gagner le cœur de ses concitoyens et à conquérir le respect d’opposants plus célèbres que lui, tel Alexeï Navalny.

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Pourtant, rien ne le prédisposait à une carrière politique. Enfant du pays, il traverse une adolescence délinquante à Ekaterinbourg, alors connue sous le nom de Sverdlovsk, et est emprisonné. À 17 ans, en 1980, il est ainsi condamné à trois ans de rétention pour fraude, vol et détention d’un couteau. Libéré, il entame des cours du soir, qu’il suivra durant dix-neuf ans, pour finir diplômé d’histoire et commence en parallèle une activité dans la joaillerie.

Cultivé et collectionneur d’icônes, dont il a ouvert le premier musée privé en Russie, son image publique est complexe et inclassable, éloignée de celle d’un « homme politique professionnel » dans laquelle il ne se retrouve pas. Mais, s’il a longtemps été ouvert aux compromis, voire aux compromissions, avec les oligarques, le crime organisé ou encore les autorités, le fossé finit par se creuser, jusqu’à son placement en résidence surveillée.

« J’aime Kiev et j’aime l’Ukraine »

« Evgueni Roïzman a pris des positions antiguerre fortes et explicites, qui ont été relayées par ce qu’il reste de médias indépendants russophones, rappelle Morvan Lallouet. Son parcours politique montre que la tentative de jouer dans le cadre du système en Russie ne mène à rien : il n’avait que peu de pouvoir en tant que maire, mais même cela, c’était déjà trop et, depuis l’entrée en guerre, toute une censure d’État s’est déployée. Il n’est plus possible de dire quoi que ce soit. »

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Tout a ainsi brutalement cessé en août dernier, lorsqu’il a été arrêté par une dizaine d’hommes en armes, puis interdit de paraître et de s’exprimer en public pour avoir « discrédité les forces armées ». Depuis, celui qui déclarait en mars 2020 à un journal ukrainien « j’aime Kiev et j’aime l’Ukraine » doit taire sa colère à l’encontre du gouvernement russe comme son opposition à la guerre. Jugé depuis le 26 avril dernier, il a plaidé non coupable et exclu de quitter son pays, dans lequel il encourt cinq ans de prison.


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